La première fois que j’ai été témoin d’une scène de harcèlement de rue, mon cerveau a buggé. Pas de cape de justicier, juste une gêne, de la peur… et l’impression de regarder un film dont j’étais censé sortir acteur. Puis, on m’a parlé de la méthode des 5D. J’ai appris qu’il n’existe pas une seule bonne façon d’agir, et même que rater son intervention, c’est déjà faire un pas. Spoiler : la perfection n’existe pas ici – mais les outils, eux, sont bien réels.

1. Les 5D à l’épreuve du réel : improvisation, gêne et micro-hésitations

« On s’est tous demandé à un moment si j’avais été témoin comment j’aurais réagi. » Cette phrase, je l’ai entendue lors d’une formation StandUp contre le harcèlement de rue, et elle m’a immédiatement parlé. Avant de découvrir la méthode 5D, je me posais souvent cette question : face à une scène de harcèlement, saurais-je intervenir ? Ou bien resterais-je paralysé, hésitant, gêné, à chercher mes mots ou à détourner le regard ?

La méthode des 5D : un outil simple, mais pas si évident

La méthode des 5D – Distraire, Déléguer, Dialoguer, Diriger, Documenter – est aujourd’hui reconnue pour permettre une intervention témoin harcèlement en toute sécurité. Elle a été développée par le programme StandUp, soutenu par Hollaback!, L’Oréal Paris et la Fondation des Femmes. L’idée est simple : donner à chacun des clés concrètes pour réagir, sans se mettre en danger, face au harcèlement de rue.

Pour rappel, les 5D sont :

  • Distraire : détourner l’attention du harceleur ou de la victime.
  • Déléguer : demander de l’aide à une tierce personne (agent, commerçant, etc.).
  • Dialoguer : parler directement à la victime pour lui montrer du soutien.
  • Diriger : s’adresser directement au harceleur pour lui signifier que son comportement est inacceptable.
  • Documenter : filmer ou prendre note de la scène, si cela peut servir de preuve.

Sur le papier, tout paraît clair. Mais dans la réalité, chaque intervention est unique, et la théorie se heurte vite à la pratique : improvisation, gêne, micro-hésitations… Rien n’est jamais aussi fluide que dans les exemples de la formation.

1) Distraire — détourner l’attention

  • Témoin : poser une fausse question (“Excusez-moi, la ligne B ?”), saluer la victime comme si vous la connaissiez, créer une diversion légère.
  • But : casser l’interaction sans confrontation directe.

2) Documenter — garder une trace

  • Filmer/photographier à distance si quelqu’un d’autre intervient.
  • Dire la date/heure à voix haute, cadrer le lieu et l’auteur.
  • Remettre la preuve à la victime (ne pas publier en ligne).

3) Diriger — intervenir de façon assertive

  • S’adresser à l’auteur : “Arrêtez immédiatement.” “Laissez-la tranquille.”
  • Ou à la victime : “Ça va ? Besoin d’aide ? Je vous accompagne ?”
  • Ton ferme, phrases courtes, puis se retirer si danger.

4) Déléguer — chercher du renfort

  • Mobiliser une personne précise (“Monsieur au pull rouge, pouvez-vous… ?”), le personnel (agent, conducteur, vigile).
  • En dernier recours : 17 / 112, 114 par SMS (France).

5) Dialoguer — soutenir après coup

  • Valider : “J’ai vu, je te crois, ce n’est pas ta faute.”
  • Proposer : raccompagner, aider à signaler/porter plainte, partager les ressources utiles (ex. 3020, 3018, 119, 3919 en France).

👉 Rappels clés : écoute ton instinct, ne te mets pas en danger, privilégie la sécurité et la solidarité.

Mes doutes initiaux : entre envie d’agir et peur de mal faire

Avant de suivre la formation StandUp harcèlement, j’avais déjà été témoin de situations gênantes dans la rue ou les transports. Je connaissais vaguement l’idée de « faire diversion », mais je n’avais jamais mis de mots précis sur ce que je faisais – ou sur ce que je n’osais pas faire.

Je me souviens d’une fois où, voyant une jeune femme visiblement mal à l’aise face à un homme insistant dans le métro, j’ai voulu intervenir. J’ai hésité : devais-je lui parler directement ? Faire semblant de la connaître ? Ou demander de l’aide à un autre passager ? Finalement, j’ai juste marmonné un « ça va ? » à peine audible, sans vraiment casser la scène. J’ai eu l’impression d’avoir « bafouillé » mon intervention, loin de la stratégie « Distraire » expliquée dans la méthode.

Improviser selon le contexte : chaque « D » a ses nuances

Ce que j’ai compris avec le temps, c’est que chaque intervention dépend du contexte, de la personnalité du témoin, et même du genre. Par exemple, lors de la formation, on nous expliquait que si on est une femme, on peut plus facilement aller vers la victime et lui parler comme à une amie :

« Géraldine, ça fait super longtemps que je t’ai pas vue, qu’est-ce que tu deviens depuis le lycée ? »

Ce type de distraction fonctionne bien pour couper la scène sans confrontation directe. Mais si on est un homme, la même stratégie peut être mal interprétée. Dans ce cas, il peut être plus judicieux de s’adresser au harceleur, mais de façon détournée, par exemple :

« J’adore tes chaussures, je suis complètement paumé, est-ce que tu peux m’orienter ? »

L’essentiel, c’est de s’adapter. Les 5D harcèlement de rue ne sont pas des recettes magiques, mais des portes de sortie à choisir selon la situation. Parfois, on improvise, on hésite, on se sent maladroit – et c’est normal.

80% des femmes concernées : l’importance d’oser, même imparfaitement

En France, 80% des femmes déclarent avoir déjà subi du harcèlement sexuel dans l’espace public. Ce chiffre donne le vertige, mais il rappelle aussi que chaque tentative d’intervention, même hésitante, peut faire la différence.

La méthode 5D invite à agir, à sa mesure, sans chercher la perfection. Au fil de mes expériences, j’ai compris que le plus important n’est pas d’appliquer la méthode « à la lettre », mais d’oser franchir le pas – même si c’est maladroit, même si on improvise.

2. Quand « documenter » rime avec : pas de buzz, pas de trauma en plus !

Filmer ou non ? Mes réflexions sur la légalité, l’utilité, et la responsabilité

Quand on est témoin de harcèlement de rue, la question de « documenter » la scène se pose très vite. Est-ce que je dois sortir mon téléphone ? Est-ce légal ? Est-ce vraiment utile ? Avec la méthode des 5D, documenter harcèlement de rue signifie récolter des preuves concrètes pour la victime, sans ajouter de pression ou de traumatisme supplémentaire.

La loi est claire :

« On a le droit de filmer une personne qui est en train de commettre un délit ou un crime mais on n’a pas le droit de diffuser sur les réseaux sociaux. »

En tant que témoin, filmer ou prendre des photos peut être un vrai soutien aux victimes harcèlement, surtout si elles souhaitent porter plainte. Mais attention, il ne s’agit pas de devenir reporter ou de chercher le buzz.

Documenter harcèlement de rue : comment bien faire ?

  • Filmer discrètement : Si la situation le permet (et sans se mettre en danger), sortir son téléphone pour filmer ou prendre une photo peut constituer une preuve solide.
  • Noter les détails : Même sans vidéo, noter la date, l’heure, le lieu précis (nom de la rue, station de métro, etc.) ajoute du poids à un témoignage.
  • Enregistrer l’ambiance : Un enregistrement vocal, ou même une note vocale décrivant la scène, peut être utile.
  • Montrer le contexte : Filmer les alentours, les panneaux, les stations, tout ce qui permet de situer l’action dans l’espace et le temps.

L’objectif n’est pas de devenir voyeur, mais de fournir à la victime des éléments concrets pour la protection des victimes harcèlement et pour appuyer un éventuel dépôt de plainte.

Pourquoi donner les preuves à la victime ou les détruire – l’erreur à ne pas commettre

Après avoir documenté, la tentation peut être grande de garder la vidéo ou la photo « au cas où ». Pourtant, la meilleure chose à faire reste de remettre ces éléments à la victime, si elle le souhaite, ou de les détruire si elle préfère ne pas les utiliser. C’est une question de respect, mais aussi de protection : la victime doit garder le contrôle sur ce qui la concerne.

  • Remettre les preuves à la victime : C’est elle qui décide si elle veut porter plainte, utiliser les images ou non.
  • Ne jamais diffuser sans consentement : Publier sur les réseaux sociaux, même avec de bonnes intentions, peut aggraver le trauma et créer de nouveaux problèmes juridiques.
  • Détruire si la victime le demande : Si elle ne veut pas de traces, il faut respecter ce choix.

En tant que témoin, notre rôle est d’être un soutien aux victimes harcèlement, pas de leur voler leur histoire ou de leur imposer une exposition non désirée.

On protège qui, en fait, quand on évite de tout balancer sur les réseaux ?

On pourrait croire qu’en publiant la vidéo d’un harceleur, on rend service à la société. Mais en réalité, on risque surtout d’exposer la victime à un nouveau traumatisme, à des commentaires déplacés, voire à des représailles. La diffusion massive sur les réseaux sociaux transforme un acte de soutien en une source potentielle de buzz, mais aussi de souffrance supplémentaire.

Les lois françaises encadrent strictement la diffusion de contenus sensibles. Même si l’intention est bonne, publier sans consentement peut entraîner des poursuites. De plus, la viralité ne garantit pas la justice : elle peut au contraire détourner l’attention du vrai problème et compliquer la démarche de la victime.

Documenter harcèlement de rue, c’est donc agir avec prudence et respect : récolter des preuves, oui, mais sans jamais oublier la personne concernée. La méthode des 5D rappelle que la priorité reste la protection des victimes harcèlement, pas la recherche de likes ou de partages.

En résumé, documenter, c’est soutenir, pas exposer. C’est donner du poids à la parole de la victime, sans ajouter de trauma en plus.

3. Dialoguer, même maladroitement : l’importance de l’après et du lien humain

Quand on parle de la méthode 5D face au harcèlement de rue, on pense souvent à l’action immédiate : intervenir, distraire, documenter… Mais il y a un aspect tout aussi essentiel, parfois négligé : le dialogue après l’agression. Dialoguer avec les victimes de harcèlement, même maladroitement, c’est offrir un espace de récupération émotionnelle, un soutien psychologique après le choc, et surtout, rappeler à la personne qu’elle n’est pas seule. C’est ce lien humain, fragile mais précieux, qui m’a le plus marqué dans mes expériences.

La première fois que j’ai osé aller vers une victime après une scène de harcèlement, je me sentais maladroit, presque illégitime. J’avais peur de mal faire, de dire la mauvaise chose, d’ajouter de la gêne à la gêne. Pourtant, j’ai compris que le simple fait de montrer qu’on a vu, qu’on n’est pas indifférent, peut déjà tout changer. J’ai appris à dire, même avec hésitation : « J’ai vu. Je ne suis pas d’accord, je te soutiens. » Ce sont des mots simples, mais ils ouvrent la porte à la récupération émotionnelle après harcèlement.

Ce qui m’a le plus bouleversé, c’est la puissance de la phrase : « Ce que tu viens de vivre n’est pas normal, ce que tu viens de vivre n’est pas de ta faute. » On sous-estime souvent l’impact de ces mots. Pour moi, ils ont été une révélation. Ils permettent à la personne de se libérer, ne serait-ce qu’un peu, de la peur, de la culpabilité, de la honte – tous ces sentiments qui s’accumulent et qui font mal. Ce n’est pas magique, mais c’est un début de soutien psychologique après harcèlement, un pas vers la guérison.

Mais dialoguer, ce n’est pas seulement parler. C’est aussi savoir ne pas insister. Après une agression, la vigilance de la victime est à son maximum. Il faut faire attention à la façon dont on s’adresse à elle : ne pas toucher, ne pas s’approcher trop près, ne pas imposer sa présence ou ses questions. Parfois, la meilleure façon de soutenir une victime de harcèlement, c’est de respecter son silence, de lui laisser le choix de parler ou non. Le dialogue post-agression ne doit jamais imposer une nouvelle pression. J’aurais aimé comprendre cela plus tôt : le respect de la volonté de l’autre est aussi une forme de soutien.

Avec le temps, j’ai aussi compris qu’il ne fallait pas avoir peur d’être maladroit. Mieux vaut un mot imparfait qu’un silence total. Ce qui compte, c’est la sincérité, l’intention de bien faire, même si les mots trébuchent. La récupération émotionnelle passe souvent par des phrases simples, mais dites avec le cœur. Et si la personne ne veut pas parler, on peut simplement rester là, montrer par sa présence qu’on est disponible, sans forcer.

Je voudrais faire une petite digression ici, car il y a un aspect dont on parle rarement : le dialogue avec soi-même après un choc. Être témoin ou victime de harcèlement, c’est aussi un traumatisme pour soi. J’ai longtemps minimisé l’impact que cela avait sur moi. Pourtant, il est essentiel de prendre soin de soi, de s’autoriser à ressentir, à évacuer la colère, la peur ou l’impuissance. Se dire à soi-même : « Ce que tu as vécu n’est pas normal, ce n’est pas de ta faute » est parfois aussi nécessaire que de le dire à une autre personne. C’est une étape importante de la méthode 5D, souvent oubliée, mais qui fait toute la différence dans la récupération émotionnelle.

En conclusion, dialoguer avec les victimes de harcèlement, c’est avant tout créer du lien humain. C’est offrir un soutien, même imparfait, qui aide à reconstruire, à apaiser, à avancer. Ce n’est jamais anodin. Même si l’on se sent maladroit, même si l’on doute, il vaut mieux essayer, avec respect et bienveillance. Parce que chaque mot compte, chaque geste de soutien aux victimes de harcèlement est une pierre de plus contre l’indifférence. Et n’oublions pas : prendre soin de soi, c’est aussi prendre soin des autres.

TL;DR: On n’a pas à être parfait pour agir contre le harcèlement de rue. La méthode des 5D propose cinq axes simples (Distraire, Déléguer, Documenter, Diriger, Dialoguer) pour intervenir en tant que témoin ou victime, avec sécurité et respect, et l’essentiel, c’est d’oser faire quelque chose, même petit.

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